"LE SÉCULARISME DU QUÉBEC MIS À L'ÉPREUVE DE L'ISLAM MILITANT", L'ARTICLE ANTI-MUSULMAN DE L'ECHO

Un article ouvertement anti-musulman est paru dans L’Echo, un journal économique belge, le 5 janvier 2020. L’article traite des réactions des communautés musulmanes du Québec au projet de loi 21, votée en juin 2019. Cette loi interdit aux fonctionnaires occupant des postes « d’autorité », tels que juges, enseignants, policiers officiers et autres personnalités publiques, de porter des symboles religieux - comme le hijab, la kippa, le turban et la croix - au travail.

La BBC rapporte que plusieurs groupes et organisations religieux, comme le Conseil national des musulmans canadiens, le Centre pour les affaires juives et israéliennes, le B'nai Brith et les diocèses anglicans du Québec se sont opposés, ainsi que certaines commissions scolaires et les syndicats. Cependant, l’article de L’Echo se concentre uniquement sur les communautés musulmanes, les qualifiant de « militant » ou d’« intégristes » pour avoir contesté la loi.

Dès le titre « La laïcité québécoise à l'épreuve de l'islam militant », et à chaque paragraphe, ainsi que la photo, contiennent des tropes islamophobes.

L'expression « islam militant » dans le titre est généralement utilisée pour désigner des groupes terroristes islamistes comme al-Qaïda ou ISIS, suggérant ainsi que la laïcité au Québec est menacée par des individus extrémistes dangereux.

La phrase d'ouverture («la colère des musulmans de la Belle province et du très multiculturel Canada anglais ») commence à construire un binaire entre les musulmans comme des gens en colère et irrationnels et les non-musulmans comme des gens calmes et analytiques.

Tout au long de l'article, le journaliste omet d’être précis lorsqu'il décrit les manifestations et le nombre d'organisations qui ont pris position contre la loi. Au contraire, l'article présente des mots qui indiquent des chiffres croissants qui pourraient alimenter la peur: «les musulmanes du Québec multiplient les manifestations», «Nour milite avec de nombreux autres musulmans». Dans l'une de ces phrases, les journalistes ajoutent « entérinée pourtant en Juin dernier », suggérant que la loi ayant déjà été approuvée, les femmes ne protesteraient pour rien.

Le deuxième paragraphe, qui décrit et cite l’opinion d’une avocate musulmane sur la loi, est non seulement islamophobe mais aussi manifestement sexiste. En effet, il présente des éléments de l'islamophobie genrée, un terme utilisé pour désigner les formes spécifiques de discrimination et de stéréotypes auxquels les femmes musulmanes sont confrontées, étant à l'intersection de deux identités différentes, être femme et être musulmane. Dans ce paragraphe, Nour Fahrat, avocate québécoise, est présentée comme «« l'égérie » du mouvement anti-laïcité ». « Égérie » est un mot généralement utilisé pour désigner les célébrités qui sont le visage ou l 'ambassadrice de marques de mode ou de beauté. En politique, le terme de leader est préféré. Ce faisant, le journaliste discrédite l'activisme politique de la personne interrogée. Nour Fahrat est décrite de manière humiliante : « Hijab noir, surprenantes lèvres botoxées à outrance, cette juriste de 28 ans revendique son" féminisme " »

En disant qu'il est "surprenant" que l'avocate ait des lèvres "excessivement botoxées", la dénoncée exprime explicitement un jugement non sollicité et sévère sur son choix de disposer de son corps, que ce soit par rapport à son foulard ou ses préférences cosmétiques. Par ailleurs, il affirme implicitement que le foulard musulman et la chirurgie esthétique sont en conflit. En outre, en mettant « féminisme » entre guillemets, l’auteur suggère que les femmes musulmanes, ou visiblement les femmes qui ont subi une intervention esthétique ou les deux, ne peuvent pas prétendre être féministes ou participer à des luttes pour les droits des femmes. On ignorera à quel nom l’auteur se trouvera légitime de dresser la liste des bonnes et des mauvaises féministes. 

Aux paragraphes suivants, une femme nommée Fatima Ahmad est citée. À son sujet, nous savons seulement qu'elle est une étudiante de 23 ans qui porte le voile intégral et qu'elle se sent comme « une citoyenne de seconde classe avec des droits limités ». Et pourtant, dans l'article, elle est associée aux « musulmanes intégristes ». Et le journaliste ne s’embarrasse pas d’une définition. L'article déclare : « Si, à l’instar de Fatima, les musulmanes intégristes dénoncent un climat délétère au Québec, l’immense majorité des Québécois, bons enfants, ne voient dans le niqab qu'une faute de goût ». Cela suggère que la réponse de Fatima est une réaction excessive d’une minorité sur les opinions de la « grande majorité » des Québécois, que l’auteur prétend connaitre et définie comme facile à vivre, dont les attitudes envers le niqab sont plus une question de goût que de discrimination.

Dans la deuxième partie de l'article, le journaliste ne cesse de proposer une distinction binaire, allant cette fois au-delà des musulmans et des non-musulmans pour inclure « le Canada anglophone contre le Québec ». L'article indique que les anglophones pensent que la loi sur la laïcité est une atteinte à la liberté religieuse ainsi qu'au multiculturalisme. Pour le journaliste, cependant, cela révèle « une situation […] des différences entre deux mondes anglophones et francophones irréconciliable ».  L'article donne également la parole à des opinions complices qui prétendent que les médias canadiens de langue anglaise infiltrent le Québec avec une « propagande insidieuse », négligeant délibérément les systèmes juridiques différents. 

En créant cette distinction, le journaliste suggère que toute critique à l'encontre du projet de Loi 21 et illégitime et reproduit l'hégémonie du Canada anglophone sur le Québec, et que cette puissance étrangère multiculturelle, où les musulmans sont nombreux, constitue une menace contre la voie francophone.

Dans le dernier paragraphe, le journaliste déclare que « même si certains musulmans sont en désaccord avec le port du voile, les opposants musulmans à la laïcité » pourraient réussir s’ils portent plainte à la Cour suprême du Canada. Bien qu'il se concentre sur la réaction des femmes musulmanes à la loi, l'article n'explore pas l'effet disproportionné de la loi sur les femmes qui portent le foulard et le niqab. Il reproduit le stéréotype « Musulmans contre laïcité » et néglige de reconnaître les façons dont la loi viole le droit à l'égalité et la liberté sur le lieu de travail.

À la fin de l'article, le journaliste fait une distinction, une fois de plus, entre les musulmans qui sont contre la loi et les « pure laine » Québécois - un mot obsolète et raciste utilisé au Canada pour désigner ceux dont l'ascendance est exclusivement canadienne-française. En déclarant que les Québécois de « pure laine » seront en colère si les musulmans obtiennent gain de cause à la Cour Suprême, le journaliste suppose affirment plusieurs que seuls les musulmans du Québec sont contre la loi, qu’un musulman ne peut être d’ascendance canadienne-française et qu’on ne peut être un Québécois « pur».

Enfin, la photo utilisée pour illustrer l'article ne correspond pas avec le contenu. Si la pièce parle de l'opposition des musulmans à une loi qui interdit le port de symboles religieux sur le lieu de travail, pourquoi mettre une photo de femmes musulmanes habillées pour la fête ? dans quelles circonstances cette photo a-t-elle été prise ? pourquoi ce choix iconographique ? Et pourquoi cette légende ? Les lecteurs doivent également se demander si les femmes représentées sont les «fondamentalistes» mentionnées dans l'article.

 

Comment cet article aurait-il pu être rédigé de manière plus inclusive ?

  • • Expliquer que différents groupes religieux, et non pas seulement les musulmans, sont contre le projet de loi 21

  • • Expliquer l'impact disproportionné de la loi sur les femmes musulmanes qui portent un voile

  • • Ne pas utiliser le terme « fondamentalistes » pour décrire les musulmans qui s'opposent à la loi sur la laïcité. Il serait également plus professionnel de clarifier ce que le journaliste entend par « fondamentalisme ».

  • • Être précis sur le nombre de musulmans qui manifestent. Si les chiffres ne sont pas disponibles, il serait préférable de s'abstenir d'utiliser des mots qui alimentent la peur et de fournir les noms des organisations qui font campagne contre la loi.

  • • Éviter les stéréotypes islamophobes nuisibles et négatifs, tels que la représentation des musulmans comme un groupe en colère et irrationnel qui déstabilise l'Etat de droit

  • • S'abstenir d'utiliser un langage sexiste lors de la description des sources

  • • Éviter de faire des affirmations non fondées sur les opinions de «la majorité »

  • • Vérifier que la langue utilisée est inclusive tout au long. Évitez les discours qui normalisent l'idée d'un vrai ou authentique Québécois.

  • • Utiliser une photo qui représente le problème de la loi 21. Par exemple, une femme musulmane portant un foulard dans un lieu de travail où elle sera empêchée de travailler avec la loi sur la laïcité, ou une photo de l'une des manifestations mentionnées dans l'article

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