IMPLICATIONS ANTISÉMITES

Notre Guide Linguistique d’Auto-Défense Contre l’Antisémitisme se donne pour objectif d’identifier et de faire face aux manipulations en cas de propos antisémites. Tout en nous appuyant sur des exemples réels recensés par les observateurs de Get the Trolls Out, nous mettons en lumière les subtiles technique du discours antisémite, alliant rhétorique, appel à la haine et à la discrimination envers les Juifs. 

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Par Anna Szilagyi

Il est possible de transmettre des idées sans les formuler directement. Parfois, il suffit de les suggérer, de les insinuer ou de les « impliquer », comme l’a démontré le philosophe du langage et linguiste britannique Paul Grice. 

Au quotidien, la majeure partie de notre communication repose sur des implications. La plupart du temps nous les décodons facilement. Si je dis à ma mère que « j’ai soif », elle comprendra que j’aimerais avoir un verre d’eau. Si j’organise une fête avec mes amis et que je leur dis que « Jeanne a tendance à parler énormément », ils comprendront que je ne veux pas l’inviter. 

Les implications sont par ailleurs fréquemment utilisées par les médias et les personnalités politiques. Un journal qui titre sur l’annulation de la visite du président américain dans un pays peut insinuer que les relations entre le pays en question et les Etats-Unis ont décliné ces dernières années. 

Toutefois il convient d’être prudent car il arrive que les implications soient  détournées ou employées à mauvais escient. Que ce soit intentionnellement ou non, les personnes ayant recours aux implications peuvent transmettre en toute impunité des idées ou des messages injurieux ou abusifs. Comme il est ensuite difficile de les sanctionner sans preuve directe, les implications leur permettent de faire passer des idées qu’ils ne peuvent exprimer explicitement.

C’est notamment pour cette raison que l’emploi d’implications est particulièrement répandu dans le cadre du discours antisémite. Les discours haineux envers les Juifs ont désormais tendance à être impliqués et non plus prononcés explicitement ; ceux qui les prononcent échappent ainsi aux condamnations. 

Lors d’une récente émission de Radio de la BBC, un auditeur a déclaré que : « 80% des entreprises américaines et des médias sont possédés par les Juifs ». Le sens littéral de cette phrase n’importe peu ; ce qui est important c’est le message impliqué dans cette affirmation. En insinuant que les Juifs prédominent le domaine entrepreneurial américain, l’auditeur rappelle un stéréotype antisémite répandu, celui que les Juifs contrôlent et censurent l’information dans le but de manipuler le public. A première vue, l’implication peut sembler évidente, mais comme le stéréotype antisémite a été insinué et non énoncé, il est difficile de demander à l’auditeur de rendre des comptes. 

Dans les discours antisémites, les implications peuvent donc servir, comme nous venons de le voir, à diffuser des théories conspirationnistes anti-juives. Ces implications sont souvent introduites de la même manière : « ne trouvez-vous pas surprenant/ n’est-il pas étrange que…? ». Les observateurs de Get the Trolls Out ont relevé un certains nombres d’incidents antisémites pouvant illustrer cette forme de manipulation. 

En France par exemple, au lendemain des attentats du 13 novembre 2015, un article a été publié sur le site d’un journal local indépendant prétendant fournir des informations « alternatives ». L’article en question, qui a été consulté plus de 4000 fois depuis sa publication, évoque des théories du complot et accuse Israël et le sionisme en général de manipuler la politique française. L’auteur conclut par la question suivante : « Comment se fait-il que les Juifs aient été informés des attentats le matin du 13 novembre ? ». On pourrait penser à tort à une simple question. Or, ici, l’auteur ne cherche pas à obtenir de réponses, ni d’informations, il fait une fausse déclaration : « les Juifs ont été informés des attentats le matin du 13 novembre ».

En utilisant la forme interrogative, l’auteur légitime sa fausse déclaration. Il insinue que les Juifs sont « diaboliques », « cyniques » et qu’ils « conspirent contre le monde », des stéréotypes antisémites courants. Si ces accusations sont assez explicites, encore faut-il parvenir à décoder le message impliqué dans la question.

Nous retrouvons un exemple similaire en Grèce. Peu après les attentats de Paris, Panos Leliatsos, un ancien membre du parti indépendantiste grec, a posté le message suivant sur Facebook :  « Il y a trois mois, le grand rabbin de Jérusalem a appelé les Juifs français à quitter la France. 9000 Juifs français ont ensuite rejoint Israël. Est-ce que cela vous dit quelque chose ? », Dans cet exemple, une question suit l’affirmation. L’objectif de cette question est de renforcer l’impact des stéréotypes antisémites évoqués : selon Leliatsos, les Juifs prendraient part à des activités conspiratrices malfaisantes et secrètes et ne s’intéresseraient pas à la vie des personnes qui ne sont pas juives. 

C’est souvent dans la partie impliquée d’une déclaration que se cache le « vrai » message de l’énonciateur. Il est facile de décoder ces implications, encore faut-il les détecter car elles sont, par définition, invisibles. C’est pour cette raison que les implications constituent des outils puissants dans le cadre de discours antisémites et/ou manipulateurs.

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